Betty Goodwin compte parmi les figures dominantes de l’art contemporain canadien. Sa pratique – singulière – a remis en question les préceptes modernistes à la faveur d’une iconographie centrée sur la figure humaine et ses affects. La série de neuf bâches qu’elle réalise entre 1974 et 1976 est particulièrement éloquente de ce rapport au corps et à l’intime qui caractérise sa démarche. Pour cette célèbre suite, Betty Goodwin récupère des toiles de camion usagées qu’elle étend, étire, plie et recouvre d’enduit de plâtre, d’huile ou de pastel, prenant soin de respecter dans leur nouvelle configuration toutes les traces d’usure et de réparation, qu’elle considère comme autant de signes mnémoniques de leur usage antérieur. Soigneusement rabattue, puis suspendue à une longue tige de métal, et toujours affublée de ses œillets métalliques d’où pendent ses cordages déliés, la Bâche n° 1 s’impose tel un corps blessé, avec ses marques et ses cicatrices. Soustraite à sa fonction première, la bâche qui recouvrait la boîte d’un camion se sublime en figure humaine dont la mémoire et les traces du temps stigmatisent l’épiderme.