Pouvoir(s) : Nouvelle exposition au pavillon Gérard-Morisset

L’Alcôve-école est un projet de collaboration entre le Musée national des beaux-arts du Québec et l’Université Laval. En public, Maurice Duplessis manifeste peu d’intérêt pour l’art et la culture. Mais discrètement, il bâtit une collection d’une grande valeur. En septembre 1959, le premier ministre meurt subitement. Un mois plus tard, sa sœur lègue sa collection de peintures au Musée de la province (aujourd’hui le Musée national des beaux-arts du Québec). En mai 1965, un cambriolage a lieu au musée : 28 tableaux, dont 23 de la collection Duplessis, sont volés. Il faudra quatre années d’enquête – et un mandat de recherche d’Interpol – pour que les tableaux volés soient récupérés… à Limoilou. Lors du procès subséquent, on apprendra que les voleurs ambitionnaient de vendre les œuvres pour financer des groupes de pression partisans de la reconfessionnalisation des écoles du Québec. Une étonnante et rocambolesque histoire, où s’entremêlent art et politique.

Né d’un père marin, mousse à 10 ans, Eugène Boudin devient papetier-encadreur, ce qui lui permet de rencontrer de nombreux artistes de passage sur la côte normande. Il commence à dessiner puis à peindre, avant de partir à Paris, où il étudie trois ans grâce à une bourse. Il est l’un des premiers à avoir peint en extérieur, activité à laquelle il initie Claude Monet. Précurseur des impressionnistes, il participe en 1874 à leur première exposition. Peintre de la mer et de la lumière, surnommé le « roi des ciels » par Camille Corot, il a vu naître la mode des bains de mer. Ses scènes de plages émaillées d’estivants connaissent une grande fortune critique. Boudin passe ses hivers dans le sud de la France à partir de 1890. Il séjourne aussi régulièrement à Venise, en quête d’inspiration. Il rend avec excellence l’atmosphère changeante des ciels vénitiens aussi bien que normands, confirmant son talent de peintre « météorologique ». La vue de Venise, qui fait partie des œuvres volées en 1965, a été achetée par Duplessis à la galerie Watson de Montréal. Duplessis possédait six toiles d’Eugène Boudin à la fin de sa vie, ce qui témoigne d’un goût affirmé du politicien pour l’artiste. La présence de ces tableaux dans sa collection contribue au rayonnement international du Musée national des beaux-arts du Québec.

 

 

Jean-Baptiste-Camille Corot, connu comme l’un des fondateurs de l’école de Barbizon, est présent dans la collection du Musée national des beaux-arts du Québec grâce au legs Duplessis. Par la souplesse et l’élégance de sa touche, cet artiste sait mettre en valeur la beauté de la nature. Nymphes dansant et Un beau soir, souvenir d’Italie font partie des œuvres volées en mai 1965.

La légitimité des œuvres de Corot est souvent remise en question. Très productif, le peintre détient probablement le record du plus grand nombre de faux tableaux en circulation. Ce phénomène aurait commencé bien avant sa mort, sa signature en majuscules étant particulièrement facile à reproduire. Les trois tableaux du MNBAQ ont été authentifiés, soit au moyen du sceau de vente de l’artiste, soit par la Watson Art Galleries dans les années 1950.

L’œuvre Soleil levant sur les marais, colorée et légère, séduit par la finesse de sa composition. Pour sa part, le paysage Un beau soir, souvenir d’Italie s’inscrit dans la maturité du peintre et témoigne de son habileté à rendre la beauté des arbres. Une certaine nostalgie des lieux parcourus par l’artiste émane de son travail, inspiré par ses nombreux voyages.

Artiste peintre et graveur écossais, Cameron étudie à la Glasgow School of Art, puis à l’Edinburgh School of Art. En plus d’être très réputé en tant qu’aquafortiste (il a exécuté plus de 500 gravures à l’eau-forte), l’artiste produit également de nombreuses peintures à l’huile et des aquarelles. À partir de 1900, il se concentre sur les paysages et les sujets d’architecture, abandonnant la représentation de la figure humaine. Son approche créative progressiste et moderne le laisse libre d’interpréter arbitrairement les couleurs, sans s’astreindre au réalisme académique populaire à l’époque. Dans ses peintures issues d’un procédé d’observation introspectif, il s’attache à représenter des lieux abandonnés, vulnérables et poétiques, un territoire emblématique où s’ancre son sentiment d’appartenance.

Mandaté par le gouvernement canadien en 1917 et 1918 pour peindre la guerre en France peu de temps après avoir réalisé ce paysage, Cameron y rencontre A. Y. Jackson. Présent pour les mêmes raisons, celui-ci l’observe peindre, ce qui pourrait avoir influencé l’évolution du style pictural du Groupe des Sept, formé en 1919. Curieusement, malgré la faible notoriété de son auteur au Canada, cette petite toile fait partie des œuvres volées en 1965.

 

Cornelis Springer est l’un des peintres néerlandais collectionnés par Maurice Duplessis, avec Johan Barthold Jongkind et Cornelius Krieghoff. Fils d’un charpentier et entrepreneur, Springer, d’abord formé comme peintre en bâtiment, reçoit des leçons de dessin architectural et de perspective de son frère aîné, architecte. C’est donc tout naturellement que son goût pour la peinture s’oriente vers le paysage urbain, qui fera sa réputation. Il étudie la peinture à l’Académie des beaux-arts d’Amsterdam, où il vit la majeure partie de sa vie, parcourant le pays pour y croquer ses plus beaux panoramas citadins avec un grand souci du détail.

Romantiques et fortement inspirées par la tradition picturale hollandaise des 17e et 18e siècles, ses œuvres pittoresques témoignent d’une nostalgie pour un mode de vie en voie de disparition, exprimée dans un style révolu. Springer est doté du sens de la perspective et d’un goût pour les clairs-obscurs dramatiques. La vie quotidienne des villes et des villages ainsi que l’architecture hollandaise typique y sont immortalisées avec précision. L’artiste a peint environ 650 œuvres au cours de sa carrière et conseillé le ministère néerlandais des Affaires publiques pour la construction du Rijksmuseum, où sont conservés certains de ses tableaux.

 

 

Né dans une famille de paysans, Johan Barthold Jongkind entre à l’Académie des beaux-arts de La Haye à 17 ans. Précurseur de l’impressionnisme, il s’adonne surtout au dessin et à l’aquarelle. Au cours de sa vie, il effectue plusieurs allers-retours entre les Pays-Bas et Paris, travaillant et exposant avec les peintres de l’école de Barbizon dans les années 1860. Il s’installe en Normandie dès 1863, un an après y avoir fait la connaissance d’Eugène Boudin et de Claude Monet, sur lesquels il exercera une profonde influence, et avec lesquels se créent de forts liens d’amitié. Il peint habituellement en atelier d’après ses croquis faits en nature.

L’œuvre exposée a été peinte pendant son dernier séjour aux Pays-Bas. Il n’obtiendra une reconnaissance publique que l’année suivante. Détruit par l’alcoolisme et par son hypersensibilité, il meurt en 1891 dans un asile psychiatrique. Duplessis reçoit cette scène de genre en 1954 de la firme Quémont Construction. Celle-ci lui offrira également le Campement indien à la rivière Sainte-Anne, de son peintre préféré, Cornelius Krieghoff, ainsi que The Top of the Hill de Frederick Simpson Coburn. Ces cadeaux visaient sans doute à le remercier de l’octroi de contrats très lucratifs entre 1949 et 1959.

 

 

Si le Musée national des beaux-arts du Québec possède aujourd’hui deux huiles sur toile du maître impressionniste Auguste Renoir, c’est grâce au legs de la collection de Maurice Le Noblet Duplessis. Quatre dessins de l’artiste sont également conservés dans les collections du Musée. Ces deux œuvres de petites dimensions ont été peintes à Cagnes-sur-Mer, dans le sud de la France, et s’inscrivent dans la dernière période de la carrière du peintre. Le Paysage de Provence est l’une des moitiés du tableau Deux Laveuses et paysage, qui a été sectionné en 1904 et qui comportait dès l’origine deux représentations indépendantes. Elle témoigne de la dimension exploratoire de la pratique de Renoir.

La Nature morte a été volée entre le 13 et le 17 mars 1964. Le voleur, un gardien du Musée congédié quelque temps auparavant, l’a brûlée dans son four ou dans une poubelle. L’œuvre représente des pommes dans une assiette en grès sur une nappe blanche, un sujet que Renoir a beaucoup travaillé dans les dernières années de sa vie. La toile a été transpercée par le feu et, à cause de l’importance des dommages, le tableau n’a pu être restauré.

Clarence Gagnon était l’un des artistes préférés de Duplessis. Élève de Ludger Larose à l’Académie commerciale puis d’Edmond Dyonnet et de Joseph Saint-Charles au Conseil des arts et manufactures, il entre en 1897 à l’Art Association avec William Brymner. Il découvre la peinture de paysage avec son ami Horatio Walker à l’île d’Orléans, sur la Côte-de-Beaupré et à Baie-Saint-Paul. De 1904 à 1908, il séjourne à Paris et voyage en Bretagne, en Normandie, en Espagne, au Maroc et en Italie. À son retour au pays, il passe beaucoup de temps dans Charlevoix, dont les panoramas sont à l’origine de la majorité de ses tableaux. L’esprit nationaliste de l’époque apprécie particulièrement ses paysages académiques, inspirés à la fois de la tradition hollandaise et du postimpressionnisme français.

La toile présentée a été réalisée au cours du premier séjour de Gagnon en France, où il étudie d’abord à l’Académie Julian à Paris, puis se consacre à la peinture de paysage in situ. C’est en Normandie, au sud de Rouen, qu’il a peint ce paysage fluvial. On remarque l’attention naturaliste portée aux détails des branchages. Les jeux d’ombre et de lumière ainsi que le reflet du ciel sur l’eau provoquent un mouvement dynamique du regard du spectateur.

 

Jean Soucy étudie d’abord à l’École des beaux-arts de Québec, puis se forme en enseignement et devient professeur d’arts plastiques. Il poursuit en parallèle sa pratique picturale, guidé par la liberté formelle et créative des avant-gardes européennes. Soutenu par une bourse du gouvernement duplessiste, Soucy développe sa pratique à Paris de 1946 à 1950. À son retour, il reprend l’enseignement, puis dirige le Musée du Québec de 1967 à 1973 et arrête de peindre.

En 1945, lors du concours artistique tenu au Musée de la province, il remporte le premier prix de peinture. À cette occasion, l’institution acquiert l’œuvre Les Recrues, dont la modernité est soulignée par le jury. De nombreuses autres œuvres de cet artiste, d’une grande diversité stylistique, seront acquises ultérieurement par le Musée. La composition sinueuse de ce portrait de groupe coloré et graphique, aux aplats de teintes pures et vives, fait un gros plan sur l’intérieur du dortoir des recrues, encerclé par le reste du camp militaire. Les jeunes soldats archétypaux, habillés en civils, passent le temps en se divertissant dans l’attente du départ pour le front. La force et la virilité des futurs soldats semblent émaner des bras et des mains disproportionnés.

Née en 1912 à Victoriaville, Madeleine Laliberté emménage à Québec avec sa famille en 1932. Elle amorce alors ses études à l’École des beaux-arts de Québec avec Jean Paul Lemieux. Bien que la surdité la frappe à l’âge de 21 ans, elle part se perfectionner en France en 1937, avant de fréquenter l’École des beaux-arts de Mexico en 1940, pendant six mois. Elle expose en 1941 aux côtés de Jean Soucy. De 1942 à 1944, elle poursuit à New York sa formation en même temps qu’Irène Legendre. Elle cesse de peindre en 1958, avant de reprendre sa pratique une dizaine d’années plus tard. Il faudra attendre 1971 pour que le Musée du Québec lui consacre une rétrospective.

Les compositions avec personnages ne manquent pas dans l’œuvre de Madeleine Laliberté. La Famille, qui pourrait avoir été d’abord intitulée Le Mariage, est remarquable par sa composition spontanée et désorganisée. Le style naïf de cette œuvre énigmatique témoigne de diverses influences, consécutives à ses séjours à l’étranger. L’enchevêtrement et la proximité des corps robustes presque nus, l’arbitraire des couleurs, le dessin combinant rigidité et souplesse ne laissent aucune place à une vision stéréotypée de la vie familiale. Malgré les visages inexpressifs, les attitudes des personnages expriment de profonds sentiments de tendresse parentale.

Étudiante d’Alfred Pellan à l’École des beaux-arts de Montréal en compagnie de sa sœur Marguerite, Lucyl Martel voit son travail et son talent récompensés à plusieurs reprises. On décèle l’influence du fauvisme dans sa palette aux couleurs franches et vibrantes. C’est possiblement en raison d’un contexte social traditionaliste, refusant aux femmes la liberté de s’exprimer et de construire leur existence en dehors du couple et de la famille, que Martel utilise habituellement les signatures ambiguës L. Martel ou Luc. Martel.

Pendant ses études, elle crée Atelier. L’œuvre fait scandale, avec d’autres toiles jugées inconvenantes, lors de sa présentation publique le 12 juin 1945 à l’École des beaux-arts de Montréal. Pour contrer l’académisme de la direction, Pellan fait appliquer du savon et de la gouache sur les tableaux coupables, opération facilement réversible. Le directeur Charles Maillard exige néanmoins qu’ils soient décrochés. Son intransigeance provoque une manifestation étudiante qui conduira à sa démission. Les « corrections » de Lucyl Martel sur son tableau, un maillot de bain peint sur le corps nu de la femme debout, ne seront supprimées qu’en 2003. À partir des années 1960, l’artiste gagne sa vie comme conceptrice de décors et d’accessoires à la télévision. C’est sa nièce, Johanne Martel, qui a permis la redécouverte de son travail lors d’une exposition rétrospective en 2017.

Né en Lituanie, Sam Borenstein grandit en Pologne puis émigre à Montréal avec sa famille à 13 ans. Pour gagner sa vie, il travaille dans le secteur du textile et de la fourrure, et apprend le dessin et la sculpture en cours du soir. Au fil du temps, il se lie d’amitié avec plusieurs artistes de la communauté juive montréalaise. Son voyage en France en 1939, raccourci par le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, changera sa manière de peindre. Plus tard, il devient membre de la Société d’art contemporain et expose à l’Art Association of Montreal. Une rétrospective de son travail sera présentée à Montréal en 1966, trois ans avant son décès.

Ce portrait de groupe le montre avec son entourage devant un paysage urbain évoquant le Montréal industriel et ouvrier de l’époque. Son père chauve et le cheval sont des sujets récurrents dans son œuvre. Borenstein a également représenté son épouse, en haut à droite, lui-même à l’extrême droite et l’artiste Herman Heimlich en bas au centre. Ce tableau comporte des contours graphiques marqués délimitant des couleurs vives à dominantes rouge et bleue. La subjectivité de l’artiste s’y révèle par une touche picturale plus sobre qu’à son habitude.

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